Profession encore méconnue ou associée à de nombreux stéréotypes, métier parfois décrié, peu identifiable (avec la multitude de fonctions) et rarement soutenu par les différents gouvernements ; l’éducateur spécialisé est pourtant l’une des figures du travail social. Son intervention est multiple et nécessite donc un accompagnement éducatif renforcé et différencié. Son public diffère en fonction des établissements : mineurs placés en foyer, enfants ou adultes souffrant d’handicap (moteur, mental ou physique), adultes en difficulté sociale ou professionnelle et demandeurs d’asile.
Avec des enfants souffrant d’un handicap mental, sa mission est de mener des activités éducatives afin de maintenir leur éveil. Pour des adultes en situation d’handicap, il fixe des objectifs à atteindre et aide à l’insertion dans la société. Dans la rue, son rôle est d’assurer de la prévention mais aussi un accompagnement de jeunes marginalisés. Dans un foyer de l’aide sociale à l’enfance, l’éducateur spécialisé doit suivre la scolarisation de mineurs séparés de leur famille et assumer les difficultés psychologiques qui en résultent. Enfin, pour les adultes en rupture sociale, sa mission est double : éducative (alphabétisation, règles administratives) et réparatrice (recherche de logement, soutien pour une cure de désintoxication, etc.).
Un seul article ne suffirait pas à évoquer toutes les branches du travail social et n’étant pas éducateur spécialisé, je préfère laisser parler de vrais professionnels avec leur expérience et leur vécu. Ainsi, je vous propose de découvrir un aspect de cette profession à travers l’interview de deux éducateurs spécialisés travaillant avec des mineurs placés dans un foyer départemental de l’aide sociale à l’enfance depuis 6 années pour Lise et plus de 14 ans pour Fabien.
1) Comment définiriez-vous votre métier en quelques mots ?
Nous travaillons dans un foyer de la protection de l’enfance. On s’occupe de mineurs dont leurs parents sont en placement judiciaire ou ne s’occupent pas d’eux. On assure l’accompagnement sur le plan scolaire, affectif et psychique.
2) Quelles sont vos différentes missions ?
En premier lieu, on s’occupe de l’accueil du jeune, il faut le rassurer et le sécuriser. Il faut ensuite rentrer en relation avec lui et l’accompagner dans son projet individuel pour l’amener vers l’autonomie. A 18 ans, il doit savoir se gérer tout seul (s’occuper d’un budget, postuler pour un travail, faire ses courses, sa lessive,…) car il risque de ne jamais pouvoir compter sur sa famille. On gère également le quotidien : repas, devoirs, hygiène,… En revanche, le but n’est pas de suppléer les parents mais de travailler avec eux car la réussite de l’enfant en dépend souvent. Il faut aussi aider chaque jeune à se poser, trouver ses repères, lui faire comprendre pourquoi il est là, le faire adhérer au projet de l’équipe et à son lieu de vie. On est aussi le référent du jeune, on s’occupe de tous les moments importants dans sa vie : rendez-vous avec un enseignant, rendez-vous avec ses parents, l’accompagner chez le juge, faire un rapport de comportement, rédiger des synthèses pour l’ASE (l’Aide Sociale à l’Enfance).
3) Quelles sont les qualités que doit avoir un bon éducateur ?
Un bon éducateur doit avoir de la patience, un sens de l’observation pour savoir rebondir et s’adapter aux différentes situations. Il faut aussi être capable de garder la distance ou la juste proximité avec chaque enfant. Il doit également avoir l’esprit d’équipe et être juste dans ses décisions.
4) Chaque journée est différente, mais pouvez-vous nous présenter à quoi ressemble une journée-type en foyer ?
Nous faisons de la suppléance parentale. On s’occupe du lever, du petit-déjeuner, de l’habillage, de les emmener à l’école, le repas du midi (pour certains), le retour de l’école, le goûter, les devoirs, la douche, le repas et le coucher. La journée est rythmée par le quotidien.
5) Quelles méthodes employez-vous pour établir et maintenir une relation de confiance avec les enfants dont vous avez la charge ?
C’est un métier vocation comme enseignant ou infirmière et les enfants le sentent parfaitement si tu es motivé ou investi. Plus jeune, cela n’était pas toujours facile mais avec les années et une bonne équipe, on acquière davantage de confiance et d’outils pour désamorcer des situations compliquées. Mais il n’y a jamais rien d’acquis et c’est ce que je trouve beau dans ce métier. Il faut de la stratégie, du recul et surtout une cohérence d’équipe. C’est comme deux parents, il faut s’accorder et ne pas se contredire devant les enfants.
6) Etes-vous libre de concevoir vos projets ou vous impose-t-on les actions à mener, les partenariats à privilégier ?
Nous établissons un projet d’établissement ensemble et c’est très important de conserver la continuité de la transmission des informations grâce aux réunions qui permettent à la structure de tenir.
Et oui, nous sommes libres de proposer les projets que l’on souhaite, tu gères les temps du quotidien comme tu le veux. Personne n’est derrière ton dos mais il faut bien sûr respecter une cohérence d’équipe pour que cela fonctionne.
7) En quoi consistent vos réunions d’équipe ?
Le mardi matin, ce sont des réunions institutionnelles avec tous les éducateurs sur l’organisation générale du foyer. Le mardi après-midi, il y a ce qu’on appelle les « cliniques » pour faire un point sur l’évolution de l’enfant avec généralement l’intervention d’une psychologue. Sinon, il y a les réunions de coordinations où plusieurs éducateurs se rassemblent pour parler de leurs observations, leurs difficultés, les stages à trouver, les idées d’activités, la répartition des tâches, du budget, la mise en place de sanctions pour un enfant dont le comportement a dévié et bien sûr répondre aux demandes des enfants (comme se coucher plus tard, organiser une journée shopping, etc). C’est également pendant ces réunions qu’on peut se permettre de craquer et se faire aider par les collègues qui t’aident à prendre du recul.
8) Comment organisez-vous les weekends et semaines de vacances ?
Les weekends, cela dépend des éducateurs mais tu peux faire une sortie au cinéma, aller au parc, à la piscine et encore d’autres activités ; tout en respectant le budget. Le samedi soir, nous faisons toujours à manger avec les jeunes. On essaye aussi de s’avancer un maximum dans les devoirs le weekend et on veille à s’adapter en fonction des collègues pour ne pas faire les mêmes activités.
Pendant les vacances, nous partons en « transfert ». On les appelle comme ça car avant c’était toute l’institution qui partait en vacances pendant deux mois. Aujourd’hui, cela se fait en fonction des projets et il y a généralement 3 adultes pour 12 enfants, ce qui permet de créer une relation privilégiée avec eux. On a l’impression de partir en vacances en famille, les jeunes apprennent à te connaitre davantage, ça renforce les liens.
9) Selon vous, est-ce que l’éducateur spécialisé peut exercer pleinement son travail ?
Le problème est qu’il y a une politique départementale (et nationale) qui vise à baisser les budgets. C’est compliqué de travailler dans les meilleures conditions avec des gouvernements qui « massacrent » la dotation. Il y a un véritable problème de moyens qui fait qu’une partie de notre énergie est dépensée à trouver des solutions pour contourner le manque de budget. Les CMP (Centre médico-psychologique) sont débordés, les prises en charge de chauffeur de taxi pour amener les jeunes ne sont pas toujours assurées et il y a des rabais de budget pour le vestimentaire ou l’alimentaire.
Mais nous avons un cadre de vie privilégié dans notre foyer avec la présence d’un terrain de basket, un grand parc, tout ça dans un village sécurisant. Et encore une fois, l’importance de l’équipe dont certains ont une solide expérience contrairement à d’autres foyers où il y a beaucoup de turn-over avec des équipes assez jeunes.
10) Comment gérer vous émotionnellement la violence et la souffrance des enfants ? Comment faire la part des choses ?
C’est là toute la difficulté du métier. Il faut être armé, « blindé » dans sa tête. Lise remplace une collègue qui a fait un burn out notamment à cause d’une relation conflictuelle. Tu rencontres des parents qui ont été maltraitants ou qui ont abandonné leur enfant mais tu dois rester professionnel et faire en sorte de les inclure dans le projet de l’enfant pour lui permettre de se construire au mieux. Il faut se remettre en question en permanence et en même temps, être capable de prendre du recul. Quand un enfant t’insulte ou explose, il n’est pas en colère contre toi mais plutôt envers la situation, l’image que tu renvois de son père ou sa mère.
Puis le travail d’équipe aide beaucoup, il ne faut pas hésiter à demander à un collègue de prendre le relai ou au contraire, inviter un collègue à le remplacer pour le laisser souffler quand une situation s’envenime.
C’est quelque chose qui s’apprend aussi. On a mis du temps à prendre la distance nécessaire. Au début, je rentrais et continuais à penser au travail le soir. C’est normal, c’est de l’humain ; mais avec le temps et l’expérience, tu continues de penser aux enfants mais sans ressasser.
11) Quel lien avez-vous avec les parents ?
Nous avons la chance d’avoir un cadre relation chargé familles qui gère beaucoup de choses avec les parents. Sinon, nous avons essentiellement des liens téléphoniques.
La relation dépend de chaque parent. Si un parent est en colère, ne comprend pas le placement de son enfant ; le lien est compliqué à établir. En revanche, quand les parents ont conscience de leur difficulté à gérer la situation, on arrive à communiquer, être dans l’échange, faire le point sur l’évolution de leur enfant.
Il faut aussi rassurer les parents, leur expliquer le fonctionnement, rappeler aux parents les rendez-vous, les relancer, faire en sorte qu’ils s’impliquent dans la scolarité de leur enfant. L’objectif est d’inclure les parents dans le projet car la réussite de l’enfant en dépend ou cela sera vraiment plus difficile. Nous n’avons pas à juger la situation.
12) Malgré les difficultés du métier et le salaire peu élevé, pourquoi aimez-vous ce métier ?
C’est quand on voit les « gamins », ce qu’ils nous donnent aussi. Après tes congés, tu as vraiment envie de les revoir. Tu veux les voir grandir, qu’ils s’en sortent même si quelquefois, ils sont très durs. C’est un métier vocation, tu es comme un agriculteur qui sème des graines dans leur tête en espérant les voir s’épanouir.
Et puis c’est beau un sourire d’enfant (enfin quand ils ont toutes leurs dents… et propres ^^).
13) Auriez-vous des conseils, des lieux d’accueil, des numéros ou adresses de site à indiquer à des jeunes ou à des parents en détresse ?
Il y a le 119 pour les enfants en danger, les parents en détresse ou des témoins de maltraitance. Il est joignable tous les jours et même la nuit. On peut également se rendre à l’ASE qui doit avoir un local dans chaque espace territorial. Son rôle est de mener des actions de protections envers tous les mineurs (soutien matériel, éducatif et psychologique).
